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17. Groenland intérieur

Mardi 30 janvier – vendredi 2 février. A mi-parcours de notre aventure polaire, l’équipée s’est bien acclimatée aux conditions de vie que chacun a réussi à intégrer sans trop de déséquilibre intérieur même si notre confort habituel commence à nous manquer par moments.

 

Notre quotidien s’organise entre la vie à bord du bateau et les virées au village d’Akunnaaq. Le thermomètre reste dans des zones raisonnables qui nous permettent de sortir quand nous le souhaitons. La météo prévoit pour la semaine à venir (la dernière ici) une chute en dessous des -20°C ainsi qu’un brin de blizzard. Nous verrons bien.


Ces derniers jours, les contacts et les rencontres avec les villageois d’Akunnaaq n’ont cessé de s’amplifier. Les invitations à déjeuner ou dîner chez les uns ou les autres sont devenus notre lot quotidien et nous mesurons la chance de bénéficier de tels moments de rencontre et de partage.

 

Mercredi, réunion avec l’équipe de l’école pour planifier des interventions auprès des enfants la semaine prochaine. Ils sont demandeurs d’apprendre quelques mots de français, de connaître un peu plus nos modes de vie, ce que nous mangeons, nos lieux de vie, ce que nous aimons faire en dehors de notre travail. L’intérêt est d’une réciprocité stimulante. Nous parvenons également à prévoir avec Outi (la responsable de l’école, sur la photo ci-dessous avec moi) une soirée quelques jours avant notre départ où nous bénéficierons d’une leçon de danse groenlandaise !


Dans l’après-midi, je me rends avec Jens-Peter dans un « cafe-mik », tradition locale qui consiste à ouvrir sa maison et à accueillir qui veut bien venir pour partager un café, un thé et quelques friandises sucrées à l’occasion d’un événement. En l’occurrence, nous nous rendons chez Aviaaja et son mari qui fêtent l’anniversaire de leur fille aînée de 14 ans, championne groenlandaise de ski de fond. Lorsque nous arrivons chez eux, la table est dressée et on nous sert aussitôt un café et une part de gâteau. Très vite, le salon se remplit d’autres convives qui prennent place autour de la table. Ca cause groenlandais et je me laisse bercer par ces sonorités, ces mimiques, ces rires et sourires si étranges, qui deviennent de plus en plus familiers et chaleureux. Moment délicieux à tous points de vue.

 

Le soir, nous sommes accueillis à dîner chez Vikko (à mes côtés sur la photo ci-dessous), notre jeune professeur de groenlandais, et sa femme Caroline. Le papa de Vikko ainsi que leurs deux enfants, Nick et Lisa, partagent également ce moment avec nous.


Cette journée bien remplie se concluent à 19h, en pleine nuit, sur le stade de foot complètement enneigé d’Akunnaaq. Les villageois affluent et les hommes commencent à faire circuler le ballon. Puis deux équipes mixtes (groenlandais – français, seule Oïjha, et plus tard Aurélie, prendront part au jeu) sont constituées. Je me retrouve aux cages d’une équipe dont je suis le seul français. Emmitouflés dans nos parkas Lestra et dans nos bottes polaires, les déplacements sont laborieux et sans doute parfois très comiques, surtout lorsque nous nous retrouvons à terre suite à une glissade mal contrôlée.

 

Quelle soirée ! Le moment est athlétique et nourri d’un bel esprit. Nos partenaires groenlandais sont d’une bienveillance à toute épreuve. Entre parenthèses, mon équipe gagne 5 à 3, non sans quelques arrêts spectaculaires du goal.

 

Nous rentrons de nuit, éclairés par une pleine lune rayonnante. Le paysage et l’atmosphère sont splendides. Nous sommes tous tellement heureux de cette journée qui se solde par un retour féérique au bateau.


Le lendemain, jeudi 1er février, je pars chercher l’eau en début d’après-midi avec Louis. Le temps est couvert et le vent balaie la baie vigoureusement. Lunettes de ski et emmitouflés comme jamais, nous progressons lentement vers le lac où nous partons puiser notre eau, comme la plupart des gens du village. Ici aussi, paradoxalement, l’eau est une denrée précieuse et difficile d'accès même si elle ne manque pas. 

 

A mi-chemin, nous constatons que nous avons oublié le « tuc » qui nous permet de creuser la glace qui recouvre le lac. Louis fait demi-tour et je poursuis avec le traineau et les jerricanes vides. J’arrive seul face à ce lac immense, sorte de cratère arctique. Le vent souffle assez fort et il m’accueille glacialement, de face. Je pense à l’autre danger du Groenland, le blizzard, ce vent fort qui isole et brouille toutes les pistes. Je poursuis ma route néanmoins car la visibilité me semble suffisante. 

 

J’aperçois au loin un « tuc » planté dans la neige. Un repère laissé par un villageois pour indiquer l’un des lieux qui a été creusé. A proximité, aucun trou apparent. Deux bidons recouverts de neige semblent marquer l’emplacement du trou. Je prends le « tuc » et je tâtonne dans la zone indiquée. Je finis par identifier le trou et par cogner avec le tuc afin de briser la glace qui s’est reformée. Mon imagination me rappelle la probabilité, certes minime, de croiser un ours. Le cœur en éveil, je scrute l’horizon. Pas d’ours. Pas de Louis non plus. Je commence donc à remplir les bidons. 

 

 

Les minutes sont longues et à rester relativement immobile, je commence à sentir le froid qui perce sous ma parka. Heureusement, j’aperçois Louis, ce qui apaise enfin ma vague de stress. Une fois la mission accomplie, nous entamons le chemin du retour. Les bidons sont pleins et les deux petites côtes à franchir au retour occasionnent un filet de sueur qui dégouline sur nos corps impatients de rentrer au chaud. Décidément, quelle chance avons-nous quotidiennement dans nos pays tempérés, d’accéder à un filet d’eau en actionnant simplement un robinet !


Vendredi 2 février. Nous sommes invités à déjeuner dans la famille de Gaaba, jeune groenlandais qui est étudiant en journalisme à Nuuk et avec lequel nous pouvons échanger en anglais (ci-dessous sur la photo avec moi).


Il a décidé de nous accueillir chez lui pour nous faire découvrir la nourriture groenlandaise. Son père a ramené dernièrement un phoque qu’il a tué à la chasse et nous aurons droit à du foie et des reins de phoques. Crus ! Il nous propose aussi une variété de poissons séchés, de la graisse de phoque et de la peau d’une sorte de baleine dont je n’ai pas retenu le nom. Bon appétit les amis !


Je dois reconnaître que je me contenterai de quelques morceaux de poisson cuit, d’une lichette de gras de phoque ainsi que de quelques crevettes. Je laisse le foie et les reins en expliquant à Gaaba que je ne suis pas fan des abats. Il me répondra qu’il a, lui aussi, beaucoup de mal à avaler le fromage qui sent très fort. Ouf ! Nos différences interculturelles se retrouvent dans nos capacités à manger des mets culturellement inhabituels.

 

La journée se conclue à l’école avec Vikko, Gaaba et Caroline, par une sympathique leçon de groenlandais.

Episode 18 : Blizzard vous avez dit blizzard ?

 

A voir aussi, le site du Manguier : https://lemanguier.net